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Le grand chantier de la rémunération - 1er chapitre

Les rémunérations, un sujet sensible pour tous les dirigeants. Comment s'y prendre au sein d'une entreprise libéréé ?
Le grand chantier de la rémunération - 1er chapitre
Photo by Julia Vivcharyk / Unsplash

Chez Lonestone ça va faire 10 ans qu'on cherche à continuellement améliorer l'entreprise. À la rendre plus juste, plus transparente, plus équitable.

Et comme dans toutes les boites, la question des salaires revient régulièrement. Normal me direz-vous, il s'agit de la clé de voute de la relation entre l'entreprise et ses salarié·es : on travaille contre un salaire.

Le schéma classique ne nous convenait pas. Ce que j'appelle "schéma classique", ce sont des augmentations décidées lors de rendez-vous annuels, en privé.

C'est un système facteur de fortes inégalités, rarement justifiées, et qui défavorisent :

  • Les allergiques aux négos
  • Les plus réservé·es, les introverti·es
  • Les plus humbles
  • Les isolé·es, celles et ceux qui travaillent seules sur une mission en régie, avec peu de contacts avec leurs collègues
  • Les femmes (notamment de part un certain nombre de points sus-cités, mais pas uniquement)

On a donc voulu mettre en place quelque chose de différent, pour assurer des rémunérations équitables, quel que soit le poste.

Une de nos premières décisions a été de rendre les salaires transparents (y compris ceux des associés), ce qui crée de facto des conditions favorables à plus d'équité.

Ensuite, il a fallu mettre en place un système pour decider de qui gagne quoi. Cette série d'article passera en revue nos différents essais ou idées, et le système que l'on utilise actuellement.

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Comme souvent chez Lonestone, la transparence joue un rôle clé et nous guidera vers la "bonne" solution.

Elle nous oblige à aller dans la direction de l'équité, en justifiant chaque écart de rémunération, chaque augmentation, prime ou — et c'est souvent encore plus critique — leur absence.

Le système initial : la grande messe

Notre premier système, mis en place dès les premières embauches de développeurs et que nous avons utilisé jusqu'à l'année dernière (2023), s'articulait autour de plusieurs points clés pour décider des évolutions de rémunération:

  1. choix d'une date de la prochaine réunion "rémunération" (à la base 4 fois par an, puis 2 fois par an)
  2. en amont de la réunion, les associés définissent l'enveloppe financière disponible en fonction des réserves de la société, de l'activité économique, des prévisions de croissance, etc. Ces informations sont fournies à l'ensemble des collaborateurs
  3. création un tableau dans Notion qui listent les propositions de chacun·e en amont de la réunion
  4. le jour J, on se retrouve tous ensemble pendant quelques heures pour analyser chaque proposition (avec le tryptique questions/réactions/objections)
  5. Enfin, on valide une liste définitive de propositions qui sont actées en fin de réunion et mise en place le mois suivant
Chaque salarié(e) remplit ce tableau pour proposer et argumenter des augmentations et primes

Le jour J, la discussion prend une forme codifiée :

  • on traite le cas de chaque collaboratrice en regroupant toutes les propositions qui lui sont destinées
  • on fait un "tour de table" en suivant le processus de décisions intégratives : un tour de questions, un tour de réactions et enfin un tour d'objections. Durant cette phase on retravaille la ou les propositions afin de tomber d'accord
  • si il ne reste aucune objection justifiée à la fin du dernier tour, on valide la proposition finale pour cette collaboratrice

À ce stade, on essaie le plus possible de considérer le cas de chacun sans prendre en compte l'enveloppe disponible. Le but est de trouver une somme qui paraisse cohérent vis à vis du profil, des efforts, de l'évolution, etc.

En fin de réunion, on compare notre enveloppe disponible à nos propositions, et on arbitre : si l'enveloppe est plus petite que la somme de nos propositions, il faut prioriser ou modifier les propositions initiales, qui sont toutefois conserver sur notion afin d'être prises en compte lors de la prochaine réunion.

Un système fiable et pertinent...

Pendant plusieurs années, ce système basé sur l'intelligence collective a très bien fonctionné. Passé les craintes initiales (discuter de son salaire en public), les retours ont toujours été majoritairement positifs.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il ne s'agit aucunement de défendre son bout de gras face au reste de l'entreprise : en général, les salariés soutiennent davantage les propositions pour leurs collègues que pour eux-mêmes.

La transparence des propositions force chacun·e à être honnête : impossible de proposer des augmentations mirobolantes pour les copains ou pour soi-même, au risque de passer pour un idiot face au reste de l'entreprise.

À l'inverse, ceux et celles qui auraient été mis de côté dans un système classique sont mis en avant : c'est un vrai bonheur d'entendre toute l'équipe lancer des fleurs à un développeur isolé parce qu'il fait un excellent travail, développeur qui n'aurait jamais osé demander une augmentation !

Les décisions sont aussi mieux acceptées, et renforcent la cohésion : si de nombreuses personnes proposent pour un collaborateur que je trouve peu performant, c'est peut-être que j'ai raté quelque chose à son propos.

Enfin, discuter librement des salaires permet de mettre les choses au clair : si la situation économique est mauvaise et que l'entreprise doit faire des choix, toute l'équipe est au courant et peut en débattre.

Ce qui ne veut pas dire que tout le monde est toujours d'accord avec les décisions, ou complètement satisfait par le résultat final, mais rien n'est caché, tout est expliqué. Et ça change tout.

Résultat : un turnover très faible, malgré un tassement des rémunérations vers le milieu (les plus hauts salaires ayant tendance à préférer faire monter les plus bas avant de s'augmenter eux même).

... mais qui scale mal

Mais – hé oui, il y a un mais, sinon vous ne seriez pas là ! – réunir 35 personnes dans une salle pendant 4 heures a plusieurs gros désavantages.

D'abord, ça coûte cher, très cher. On immobilise du temps pour que chacun·e fasse ses propositions en amont, mais surtout on bloque tous 4h dans notre agenda le jour J. C'est une perte importante pour une société de service comme la nôtre.

Et puis une réunion à 35 perd beaucoup de sa pertinence : impossible de développer, sinon on y passerait la semaine. Résultat : on se met à survoler le cas de chacun, alors que ça mérite toujours un regard approfondi.

Autre problème majeur : les effets d'ancrage et suiveur se multiplient : le premier et le dernier qui parlent vont avoir un impact démesuré sur la décision finale.

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Pour en savoir plus sur pourquoi les effets d'ancrage ont un impact important sur l'intelligence collective.

Les retours négatifs sur un collaborateur sont aussi plus difficiles à aborder. Si l'honnêteté fonctionne bien en petit comité, difficile de l'appliquer autant en public. Rare sont ceux qui osent aller à contre-courant du groupe, car être celui qui est contre une augmentation peut être mal vue.

Bref, on a commencé à voir des fissures dans le système, et il était temps de s'y attaquer avant que les choses n'empirent : les rémunérations sont un sujet trop sensible pour laisser trainer ce chantier !

Une nouvelle solution s'impose

Revoir le fonctionnement des rémunérations, ça ne s'improvise pas. J'ai donc passé pas mal de temps (comprendre, des mois) à me renseigner sur les décisions par consentement et l'intelligence collective avant de m'attaquer aux 3 grandes pistes suivantes :

  1. Des salaires basés sur une grille de compétences objective, la plus stricte et précise possible
  2. Des salaires basés sur l'expérience (nombre d'années à ce poste)
  3. Des salaires déterminés par l'intelligence collective

Pistes qu'on explorera dans de prochains articles à paraitre bientôt, parce que celui-ci est déjà bien assez long comme ça !


La FAQ

Vous avez des questions vis à vis de notre système de rémunération ? N'hésitez pas à me les poser par email ou sur mon post Linkedin.

"Quid des gérants ? L'équipe peut-elle discuter ouvertement de leurs rémunérations ?"

Excellente question ! La réponse est oui : jusqu'en 2023 nos rémunérations faisaient parties de l'enveloppe globale, débattues comme toutes les autres. Les discussions vis à vis de nos rémunérations étaient ouvertes et enrichissantes.

Toutefois ce système a tendance à ralentir l'évolution des "plus hautes rémunérations", nous sommes d'ailleurs les premiers coupables : nous avons longtemps laissé la priorité aux salariés afin de les fidéliser.

Combiné à des biais difficiles à faire disparaitre entièrement ("vous pouvez toucher des dividendes"), nos rémunérations ont fini par ne pas refléter notre valeur pour l'entreprise, avec le risque de démotivation voir de départ d'un ou de plusieurs associés.

Nous avons alors décidé de passer nos rémunération en "zone rouge" : toujours transparents, mais définis par la direction en dehors de toute enveloppe.

Les salariés étant au courant de nos rémunérations, nous sommes tenus d'être raisonnables, au risque de générer des tensions et des départs. Cette simplification est active depuis plus d'un an.


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